La frontière entre l’impatience et l’ambition

Lorsque l’on entame une activité, on souhaite progresser rapidement, amasser un maximum de connaissances dans un court laps de temps. Notre appétit gargantuesque apparaît alors au grand jour, caractérisé par une motivation croissante et cette projection de cette personne que l’on sera dans le futur avec ses acquis et l’aisance d’une technique maîtrisée. Ce sont de bons symptômes, rassurez-vous ! Vous n’êtes pas malades. Il est nécessaire de se fixer des objectifs et d’être conscient du pourquoi nous nous sommes lancés dans une activité. Nous nous sentons faire des progrès, nous prenons confiance, sentant le potentiel certain qu’avec de l’opiniâtreté nous arriverons aux objectifs souhaités. Vouloir progresser fait partie de l’Humain. Nous cherchons tous au cours de notre vie à faire évoluer nos conditions de vie, à vouloir changer les choses dans différents domaines. Dans nos sociétés modernes, cette volonté d’investir pour arriver à des résultats rapides est encore plus prépondérante : tout va plus vite, tout est instantané, tout se fait à distance. Nous sommes sollicités en permanence dès le commencement de la journée, à commencer par le traditionnel réveil, notre meilleur ennemi, fidèle à son statut de perturbateur indispensable. Il y a aussi le smartphone qui peut le substituer avec ses pièges à attention, tels que les mails, les appels et les réseaux sociaux. Tout au long de la journée, nos cinq sens sont sollicités et nous devons y faire face, vite et efficacement. Sans partir sur une critique du système actuel et de ses dérives de plus en plus grandissant, cette propension à passer à l’action, à agir sur la matière, en optimisant rigoureusement notre planning influe considérablement sur notre personnalité jusqu’à la pervertir. Parmi elles, l’impatience, l’obligation du résultat, de la satisfaction immédiate, ce besoin d’assouvir des pulsions. On m’a toujours dit que la patience était une vertu. Un dicton auquel j’avais, et encore aujourd’hui, bien du mal à encaisser quand je choisis la mauvaise file du supermarché ou d’attendre un document administratif.

L’impatience et ses origines

D’où vient cette impatience ? En prêtant attention à nos sentiments, à nos émotions, qu’est ce qu’elle veut montrer ? Non, pas cette envie pressante venant de Dame Nature qui veut absolument que vous décrochiez tout de suite alors que vous êtes coincé dans un lieu public (peut-on parler d’impatience naturelle ou légitime ?). Je vous parle de cette volonté d’agir au plus vite sous peine d’entraîner des conséquences qui selon nous (où plutôt notre égo) conduirait à une diminution de notre bien-être. Quelle en est l’origine ? L’impatience peut avoir plusieurs formes, elle se traduit par de la frustration, de l’irritation, l’inquiétude…des caractéristiques de la souffrance. Au cours de notre apprentissage de la danse, et dans n’importe quelle activité, nous faisons face à des difficultés qui nous mettent à l’épreuve et bien souvent de la mauvaise manière. Ne pas être à la hauteur, le sentiment de ne jamais pouvoir y arriver. De quoi avons réellement peur ? Car il s’agit bien là dune anticipation négative qui gangrène notre capacité à résoudre notre problème. L’impatience indique une notion de temps, à son manque. Et nous touchons là certainement au mal de ce siècle, c’est que nous sommes esclave du temps. Nous n’avons aucune emprise sur lui et n’avons aucune idée de la quantité qu’il est nous est imparti. Nous organisons nos vies en fonction de cet aléatoire qui conditionne notre attitude à saisir l’ensemble des opportunités qu’elle nous tend et à notre capacité à saisir l’instant présent. Le moment présent, être conscient de ce que nous sommes en tant qu’humain en constante évolution et parfait dans ses imperfections. Aurions nous peur de cette imperfection que nous nous faisons de nous-mêmes à travers notre incapacité à comprendre et digérer instantanément l’information ? Aurions nous peur de cette mort qui peut arriver à tout moment alors que nous avons encore des choses à accomplir ? L’impatience n’est pas en soi une bonne ou mauvaise attitude, il n’y a pas là à juger. C’est dans notre façon de la comprendre et de l’utiliser qui est important. Elle est vectrice de motivation mais peut engendrer aussi du stress et du dénigrement. Il n’est pas évident de dresser une frontière pour savoir de quel côté nous nous situons quand ce sentiment apparaît. Cependant,, je pense que le principal critère qui nous permet de prendre du recul et d’analyser objectivement ce sentiment est sur nos attentes. Je pense qu’il est primordial d’accepter notre personne en cet instant, avec ses forces et ses faiblesses et de permettre à ce corps que nous habitons de prendre ses marques dans cette belle aventure qu’est la danse. Remercier pour ce qu’il est, d’apprécier ce long chemin d’apprentissage qui n’a pas de fin. Partant du constat d’être des éternels étudiants, nous avons toute une vie pour l’expérimenter. Et quand bien même les années passent et le corps nous le fait savoir en étant moins fonctionnelle qu’à nos premiers jours, je pense qu’il est important de se rappeler que rien n’est permanent, tout est changement. Atteindre un objectif ne veut pas dire que l’on gardera indéfiniment. Il faut accepter, ‘apprendre, d’avoir, de posséder, mais aussi de lâcher-prise, délaisser, de se renouveler pour ne pas tomber dans l’attachement aux choses ou à nos acquis éphémères Alors plutôt que compter les pierres, gambadons sur le chemin de la vie !